La Cinquième de Beethoven, témoignage de Nicolaus Harnoncourt

Voici un commentaire de Nicolaus Harnoncourt à propos de la Cinquième de Beethoven dans Discothèque idéale :

D’abord, une précision importante : j’ai pu être transporté par certaines interprétations de Beethoven mais je ne me suis jamais dit « celui-là a trouvé la vérité, je vais l’imiter. »
De Casals – chef immense – j’ai entendu des Beethoven extraordinaires mais je ne l’ai jamais pris comme modèle. Ce qui vaut aussi pour Furtwängler et notamment ses « Eroica ». Vous m’interrogez sur la Symphonie n°5, et je vais vous étonner : je pense immédiatement à Karajan. Vous savez qu’il était à la tête des Wiener Symphoniker quand j’y suis entré comme violoncelliste en 1952. C’est lui qui m’a auditionné et engagé. Il nous a fait travailler Beethoven très régulièrement. Je n’avais pas vingt-cinq ans et j’étais fasciné par ses idées absolument neuves. Il était encore assez proche du style de Toscanini – sa manière allait changer du tout au tout pendant les années 1960. Sa façon de répéter très particulière se doublait d’une gestuelle peu classique, et même fondamentalement différente de tous les autres chefs. Il dirigeait d’ailleurs assez peu d’orchestres à l’époque.
Des neuf symphonies données en concert avec lui, la cinquième était toujours l’apothéose. Un jour, il a convoqué les violoncelles et les altos pour une séance entière sur le mouvement lent, où il voulait que nous construisions ensemble une grande ligne ininterrompue tout en restant libres sous l’arche. Extraordinaire ! Je m’en souviens comme si c’était hier. Il n’avait d’autre choix que d’enregistrer à Londres son premier cycle Beethoven, quel dommage ! Le Philharmonia de l’époque était bien sûr splendide, mais je doute qu’il ait compris toutes les exigences de Karajan aussi précisément que nous. Aucun disque ne témoigne de ses Beethoven avec les Symphoniker, mais la 5e viennoise de 1948 avec nos confrères Philharmoniker illustre parfaitement ce Karajan-là, le plus grand à mes yeux. Elle fait remonter de ma mémoire l’intensité très particulière du chef en prise avec l’orchestre que je ressentais alors, et avec nul autre chef.

1 « J'aime »