Vous ne la trouverez probablement pas sur IMSLP ! Voici ce qu’il en est. Il ne s’agit certainement pas de la version de l’auteur. Beethoven n’aurait pas pu écrire les trompettes ainsi (comme on les entend sur l’enregistrement de Furtwängler) dans le contexte des cuivres naturels. Ce que vous entendez dans le premier enregistrement est une révision ultérieure de l’interprétation (appelée « retouches ») effectuée dès la seconde moitié du XIXe siècle, avec l’avènement des cors et trompettes chromatiques.
Felix Weingartner (1863–1942), l’un des chefs d’orchestre allemands les plus célèbres de son époque, a publié un livre très intéressant intitulé Ratschläge für Aufführungen klassischer Symphonien (Conseils pour l’exécution de symphonies classiques, Munich, 1906). Le premier volume est consacré aux symphonies de Beethoven. Weingartner y commente l’ensemble (ou du moins une grande partie) des questions et des problèmes qui se posent lors de l’exécution de ces partitions (je suis convaincu que la valeur de ce livre n’a pas été épuisée à ce jour – que l’on adhère ou non aux idées qu’il contient).
En ce qui concerne l’épisode que vous mentionnez, Weingartner écrit : « Mésures 655-662. Hans von Bülow a laissé les trompettes jouer le thème entièrement ici (puis Weingartner montre, que le deuxième moitié du thème n’est qu’une marche harmonique). Le manque de clarté de la sonorité du thème sans cette correction la justifie pleinement ».
Comme vous pouvez le constater, Weingartner ne parle ici que de retouches à la trompette. Richard Strauss, dans ses Anmerkungen zur Aufführung von Beethovens Symphonien (Notes sur l’exécution des symphonies de Beethoven, incroyable, mais je n’ai pas trouvé la traduction française de ce texte !) est encore plus radical — en plus de retouches similaires à la trompette (manifestement également « observées » dans sa jeunesse par Bülow — Strauss avait un an de moins que Weingartner), il modifie également les parties des 1er et 2e cors dans ces quatre mesures : au lieu des croches sur la note sol, qui sont répétées dans les quatre mesures, il les inscrit (également avec des croches) comme un thème par analogie avec les bois.
Mahler (dont la version de la Troisième a heureusement été publiée il n’y a pas si longtemps) confie également le deuxième moitié du thème aux trompettes (tout en laissant, contrairement à Strauss, la partie de cor intacte) ; de plus, il modifie les deux mesures suivantes (m. 663-664) en confiant aux trompettes et, cette fois, aux cors, une triade ascendante en noires à l’unisson avec un passage similaire pour les altos, les violoncelles et les contrebasses. Ainsi, lors de l’exécution, ce sont ces deux mesures qui sonnent le plus fort.
Bien plus tard que tous ceux mentionnés ci-dessus, dès le dernier quart du siècle dernier, Igor Markevich, dans sa grande étude Die Sinfonien von Ludwig van Beethoven. Historische, analytische und praktische Studien (Edition Peters, Leipzig, 1983) mentionne également les retouches bulowskiennes dans ces mesures : « C’est sur l’initiative de Bulow que la tradition, maintenant bien établie, a pu continuer à suivre les lignes des cuivres comme dans les mesures précédentes. Le bien-fondé de cette démarche ne fait aucun doute. : » (et poursuit en donnant un exemple musical de retouches par les trompettes et les cors - que, pour une raison quelconque, Weingartner n’a pas mentionné ! - dans ces quatre mesures).
Malheureusement, je ne sais rien de l’interprétation de l’Eroica par Richard Wagner. Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ses retouches dans la Neuvième Symphonie. Il est tout à fait possible que cette retouche (attribuée à Bülow) dans ces quelques mesures de la coda du premier mouvement de la Troisième n’appartienne pas à Bülow mais à Wagner.
P.S. Jusqu’au milieu du vingtième siècle, l’utilisation des retouches Wagner-Bülow-Weingartner-Strauss dans une combinaison ou une autre (ou ses propres retouches, plus ou moins radicales) était une pratique courante chez la grande majorité des chefs d’orchestre européens - et pas seulement européens. Tout comme, par exemple, il allait de soi pour presque tous les chefs d’orchestre russes de donner à la clarinette basse (absente de la partition de l’auteur) les quatre notes du basson avant d’entamer le développement du premier mouvement de la Sixième Symphonie de Tchaïkovski. Aujourd’hui, au contraire, la plupart des chefs d’orchestre s’en tiennent strictement au texte imprimé sur la partition. En termes de fidélité à l’auteur, d’exactitude historique, etc., c’est certainement justifié ; mais en termes de résultat artistique, hélas, les choses sont loin d’être simples et sans ambiguïté…