Sir Adrian Boult à propos de Bruno Walter

Voici un texte d’Adrian Boult à propos de Bruno Walter. Ce texte figure dans le livret accompagnant le disque Music & Arts 1010, captant la performance historique du 3 février 1957 au Carnegie Hall — un concert où Bruno Walter livra une interprétation mémorable de la Symphonie n°3 de Beethoven.

La carrière d’un chef d’orchestre allemand commence et se déroule généralement de manière très méthodique. Il débute comme pianiste dans un opéra — je devrais dire, un pianiste dans un opéra qui espère que quelqu’un tombera bientôt malade pour pouvoir se jeter dans une représentation. Il obtient ensuite un poste de chef d’orchestre dans un petit opéra, et sa progression dépend dès lors de ses qualités. Ainsi, dans de très petites villes, on trouve des hommes âgés — expérimentés mais pas vraiment des chefs révolutionnaires — dirigeant des opéras avec un grand professionnalisme. Ils donnent des performances respectables, mais bien loin de celles que l’on peut entendre à Berlin, Munich ou Vienne.

Bruno Walter connut une ascension extraordinairement rapide dans ce système. Né à Berlin en 1876, il obtint son premier emploi à Cologne à l’âge de dix-sept ans. Deux ans plus tard, à dix-neuf ans, il fut muté à Hambourg comme assistant. Dans plusieurs opéras, il commença comme répétiteur, fut nommé directeur des chœurs en quelques mois, puis autorisé à diriger.

Sa carrière fut fulgurante à chaque nouveau poste. Mais Hambourg fut crucial car c’est là qu’il rencontra Mahler. Cela ne dura pas très longtemps, car Walter aspirait moins à être assistant qu’à diriger lui-même, et il reçut bientôt des invitations lui permettant de le faire. Il enchaîna rapidement Breslau, Pressburg (aujourd’hui Bratislava), et une ville hongroise nommée Temesvár. Il ne resta que deux mois à Temesvár et quatre à Pressburg avant de partir pour un poste plus prestigieux en apparence : l’opéra que Wagner avait autrefois dirigé à Riga. (C’est d’ailleurs en se rendant à Riga que Wagner fut pris dans une terrible tempête en mer Baltique, qui l’inspira pour Le Vaisseau fantôme.) À vingt-cinq ans, Walter arriva à Vienne et devint l’assistant de Mahler pendant onze ans. C’est là qu’il sentit qu’il mûrissait vraiment comme musicien : non seulement il dirigeait de nombreux opéras de manière indépendante, mais il avait aussi la chance d’observer et de travailler avec Mahler. Ils passaient également ensemble une grande partie des étés, lorsque Mahler composait.

En 1912, à trente-six ans, Walter fut nommé à Munich, et je me souviens très bien d’avoir eu la chance d’assister à ses trois premières représentations en tant que directeur musical général. C’étaient toutes des opéras de Mozart — Don Giovanni, Les Noces de Figaro et Cosi fan Tutte — joués dans le beau petit théâtre qui, comme il le disait avec fierté, n’avait pas été modifié architecturalement depuis que Mozart y avait dirigé Idomeneo. C’était un théâtre charmant et très petit, pouvant accueillir quatre ou cinq cents personnes, parfait pour cette musique. D’ailleurs, la scène de rue dans Figarosemblait faire partie de l’architecture même du théâtre.

Ma première rencontre avec Bruno Walter eut lieu juste après la guerre, vers 1920, lors d’un festival à Munich. J’avais une lettre d’introduction de Robin Legge, alors rédacteur musical du Daily Telegraph. Lorsque je la lui remis, il me demanda : « Dites-moi, comment va Ethel Smyth ? » Je dus répondre : « Je crains de ne pas la connaître ! »« Vous ne la connaissez pas ? » J’étais profondément mortifié. Après avoir remis ma lettre, j’eus une conversation des plus agréables avec Walter, qui m’invita à une répétition de Figaro dans ce même petit théâtre de la Résidence. Il me dit : « Vous voyez, nous jouons Figaro toutes les trois semaines toute l’année, et lors du festival, c’est le point culminant. Mais quand nous le reprenons après les vacances, c’est pour préparer le festival de l’année suivante. »

La répétition se déroulait ainsi : trois heures étaient réservées aux chanteurs, rejoints par l’orchestre pour la dernière heure et demie. Les chanteurs arrivaient à 9h30, et Bruno avait un pianiste pour les récitatifs. Il se tenait près de la rampe, dirigeant la séance, courant parfois vers un chanteur pour le repositionner. Puis il se tournait soudain vers une silhouette assise dans l’obscurité du fond et demandait : « Puis-je avoir votre permission, Herr Professor ? » C’était le metteur en scène, qui savait rester à sa place quand Walter dirigeait.

Après une heure et demie, les musiciens de l’orchestre arrivaient, certains assis, la plupart debout dans la fosse, observant avec amusement la scène — car Walter ne laissait jamais les choses devenir monotones. Puis il descendait directement dans la fosse et disait : « Nous allons revoir quelques passages de l’ouverture. » Il plaisantait souvent en disant « C’est trop fort » avant même qu’ils ne commencent, une habitude qu’il avait lors des répétitions de l’ouverture de Figaro.

Walter dirigeait souvent des musiciens qu’il connaissait bien. Il se concentrait sur l’expression plutôt que sur la technique de direction. Il utilisait une baguette courte et ne s’appuyait pas beaucoup sur ses doigts. Sa technique n’était pas aussi expressive que celle de Nikisch, par exemple, mais il était si immergé dans la musique qu’il la transmettait presque par télépathie. Il était très libre dans ses mouvements, même en concert, et laissait parfois passer des imperfections en répétition, sachant qu’il les corrigerait lors de la représentation.

Il parlait beaucoup pendant les répétitions, comme en témoigne l’enregistrement de sa répétition de la Symphonie Linz de Mozart. Contrairement à Nikisch (qui jetait parfois un livre) ou Toscanini (dont nous ne parlerons pas), Walter gardait toujours son calme et usait d’humour. Mais sous cette douceur se cachait une ferme détermination.

Lorsqu’il vint à Birmingham, bien avant que l’orchestre n’atteigne son niveau actuel, il fut charmant, mena ses répétitions avec bonne humeur et obtint des résultats dans la limite des capacités techniques de l’orchestre.

Comparé à un autre disciple de Mahler, Klemperer, qui était un véritable martinet, Walter était bien plus indulgent. Klemperer, que j’entendis à Cologne vers 1924, exigeait la perfection avec une rigueur impitoyable. Je me souviens aussi de lui déclarant devant le personnel musical de l’Opéra de Cologne : « Je ne dirigerai jamais Le Sacre du printemps car je n’en suis pas capable. » (Il le dirigea pourtant plus tard des dizaines de fois.)

À Munich, Walter accompagnait lui-même les récitatifs au piano. On peut se demander comment il parvenait à maintenir sa technique pianistique malgré ses multiples activités. Il faisait simplement partie de ces privilégiés qui n’avaient pas besoin de s’exercer (comme Josef Hofmann, qui déclara un jour : « Peu importe que je ne répète pas le Quatrième Concerto ou le Cinquième. »).

Walter était en fait un pianiste superb. Je l’entendis pour la première fois dans les années 1920 jouant un concerto de Mozart à Salzbourg, entouré de quelques membres de l’Orchestre Philharmonique de Vienne. Plus tard, il joua pour nous à Londres, mais la magie de Salzbourg ne se reproduisit pas dans le vaste Queen’s Hall.

L’année suivante, je retournai à Munich et eus le plaisir de rencontrer Ethel Smyth, que je pus enfin présenter à Walter. Par hasard, elle était à Munich et m’invita à dîner pendant le deuxième acte de La Walkyrie. Je refusai d’abord, préférant écouter l’opéra, mais elle insista : « Les Walter seront là. » Nous passâmes un dîner hilarant avec la famille Walter, tandis que les autres spectateurs se précipitaient pour avaler une bière avant le troisième acte. (Nous y retournâmes ensuite, et je découvris que je n’avais jamais vraiment écouté le troisième acte auparavant — j’avais toujours été trop somnolent. Depuis, je ne écoute que deux actes d’un opéra de Wagner par soirée.)

Après Munich, Walter passa quelque temps à Berlin, mais se produisit souvent à Londres et en Amérique. Ce n’est qu’en 1936, à soixante ans, qu’il fut nommé directeur à Vienne, succédant enfin à Mahler. Mais Hitler écourta son mandat, et après deux ans, il partit définitivement pour les États-Unis.

Je proposai à Sir John Reith de l’inviter à Londres, mais certains membres du Comité musical de la BBC s’y opposèrent, arguant que « notre orchestre britannique doit être dirigé par un Britannique ». Walter s’installa donc en Amérique, où je l’entendis diriger La Flûte enchantée et Fidelio en anglais au Metropolitan.

La dernière fois que ma femme et moi le vîmes, nous déjeunâmes avec lui à Los Angeles, dans une charmante villa où nous parlâmes dans le jardin.

Bruno Walter me confia qu’étant jeune, il trouvait Bruckner trop long. Peut-être parce que son esprit musical saisissait rapidement la structure. (Un jour, après une exquise Symphonie en mi bémol de Mozart, je lui demandai s’il pourrait un jour jouer toutes les reprises. « Oh ! Toutes les reprises… comme vous avez raison, mais cela me tuerait ! » répondit-il en riant.)

Cependant, vers l’âge de cinquante ans, Walter expliqua qu’il avait commencé à apprécier la beauté de Bruckner. Il découvrit un plaisir et un intérêt particuliers à contourner ces vides, ces trous, ces longs silences qui parsèment parfois la musique de Bruckner — ces passages qui demandent une grande ingéniosité à bien interpréter.